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Après cent jours de grève, la contestation étudiante ne faiblit pas au Québec, malgré le vote d’une « loi spéciale » restreignant la liberté de manifester. Le 22 mai, ils étaient même 250 000 dans les rues de Montréal ! Au-delà de l’opposition à la hausse des frais de scolarité, le « printemps québécois » dénonce la politique néolibérale du gouvernement, sur fond de scandales de corruption et de destruction de l’environnement.

 

 


 

 

 

 

Partout à Montréal, les carrés rouges fleurissent. Sur les manteaux, les portes des maisons, les balcons et sur les réseaux sociaux où ce symbole de l’endettement des étudiants québécois remplace de nombreuses photos de profils. « Le mouvement étudiant nous incite à réfléchir sur le modèle de société qu’on souhaite. Leurs voix nous font du bien, c’est un appel d’air. » Louise a 62 ans. La dernière fois qu’elle est descendue dans la rue, c’était en 1982. Trente ans plus tard, le mouvement étudiant entame son centième jour de grève.

Tout commence par l’annonce du gouvernement libéral de Jean Charest. Pour rivaliser avec le niveau des universités en Amérique du Nord, les étudiants sont invités à faire leur « juste part », alors que plus d’un quart des étudiants sont déjà très endettés [1]. Après des négociations avortées, la hausse des frais de scolarité est passée de 75 % sur cinq ans à 82 % sur sept ans. 30 000 étudiants risquent d’être privés d’accès à l’université, faute de moyens [2].

Face à cette impasse, les manifestations se multiplient. Cent jours après le début du conflit, le mouvement perdure. Les principales organisations étudiantes, la Fecq (La Fédération étudiante collégiale du Québec), la Feuq (Fédération étudiante universitaire du Québec) et la Classe (Coalition large pour une solidarité syndicale étudiante) dénoncent la marchandisation de l’éducation et l’endettement croissant des étudiants. Toutes réclament un gel des frais de scolarité et la tenue d’état généraux sur l’éducation.

Corruption et crimes environnementaux

Au Québec, les droits de scolarité sont restés très bas depuis les années 1970 lorsque la Révolution tranquille met en place un système d’éducation publique et accessible à tous, « un des socles de l’identité québécoise », explique Éric Martin, politologue et chercheur à l’Iris. Voilà pourquoi la volonté explicite du gouvernement de s’aligner sur le modèle du Canada anglophone ou du Royaume-Uni est vécue comme une remise en cause profonde des valeurs partagées par la population. L’opposition des étudiants sur cette question délicate ne date pas d’hier, comme l’analyse Benoît Lacoursière. Depuis les années 1990, les volontés d’augmenter les frais de scolarité se sont heurtées à la colère étudiante. En 2001 et en 2005, les étudiants avaient fait reculer le gouvernement sur ses propositions.

 

 


 

 

 

Au fil des semaines, ce n’est plus seulement la hausse des frais de scolarité qui est pointée du doigt mais toute la politique néolibérale du gouvernement en place depuis 2003. Des scandales de corruption dans le secteur de la construction sont étudiés en ce moment par la Commission Charbonneau. La politique environnementale de Jean Charest est aussi dénoncée par une grande partie de la société civile. Le 22 avril dernier, pour la journée mondiale de la Terre, ils étaient 300 000 dans les rues de Montréal pour protester contre le Plan Nord, un programme de développement minier et pétrolier dans le nord du Québec critiqué par de nombreuses associations environnementales.

Un contexte qui explique l’ampleur de la contestation. Le mouvement étudiant cristallise les mécontentements et pourrait à long terme revitaliser la question de l’indépendance. « On sent cet esprit, même si ce n’est pas tout à fait explicite. Il y a un retour du désir d’autonomie, de défense de la culture et du Bien commun avec en filigrane l’idée d’indépendance. Au Québec, toute lutte sociale d’envergure est liée à la question de la souveraineté nationale », rappelle le politologue Éric Martin.

Rigidité néolibérale

Le 18 mai, le Parlement vote à la hâte une loi spéciale visant à restreindre le droit de manifester. Une décision qui va mettre le feu aux poudres. Le barreau du Québec, Amnistie Internationale Canada et d’autres acteurs de la société civile dénoncent la loi 78 perçue comme une atteinte aux droits fondamentaux. « Je me sens profondément en deuil, c’est une loi matraque qui bafoue notre liberté d’expression, un droit élémentaire », réagit Michelle Saint-Denis, enseignante au cégep du Vieux-Montréal. Les jours qui suivent, les manifestations nocturnes dégénèrent et plus de 360 personnes sont arrêtées à Montréal.

« On est toujours dans la rue et on va continuer à marcher tous les soirs, ce n’est pas une loi d’exception qui va nous faire plier », assure Nicolas, 23 ans étudiant en histoire, en grève depuis cent jours. « Le mépris du gouvernement envers la population incite les gens à se constituer comme sujets politiques », analyse Éric Martin. La ligne dure ne fait donc qu’accentuer la contestation. C’est désormais contre la hausse des frais de scolarité et contre cette loi d’exception que les Québécois descendent dans la rue. La stratégie électoraliste du Parti libéral qui pariait sur des sondages favorables ne s’est pas annoncée payante.

 

 


 

 

 

Éducation populaire et pédagogie créative

Si le mouvement s’inscrit dans la durée, c’est aussi grâce à la solidarité des associations étudiantes et à leur travail d’éducation populaire. Avec habileté, les étudiants répondent à l’argument du gouvernement concernant le sous-financement des universités québécoises. Ils mettent en exergue leur mauvaise gestion et proposent des solutions alternatives à la hausse des frais de scolarité.

Exemple significatif, l’organisation la plus influente dans le mouvement, la Classe, fonctionne selon un modèle décentralisé de démocratie directe. Depuis le début du conflit, les 65 associations membres votent des propositions qu’elles portent ensuite au congrès hebdomadaire. Aucune décision n’est prise d’« en haut » et lorsque les deux portes-parole de la Classe ont été accusés par les médias de manipuler les étudiants, ils n’ont pas hésité à expliquer à la télévision leur fonctionnement. « C’est la première fois qu’on entend parler de démocratie directe au Québec, c’est une avancée considérable qu’apporte ce mouvement », observe notre politologue.

Éducation et savoirs : bien plus qu’une marchandise

Depuis plusieurs mois, les étudiants regorgent d’inventivité pour expliquer les enjeux de la hausse des frais au reste de la population. En témoignent l’École de la montagne rouge, un laboratoire artistique militant, l’opération Ligne rouge, et la Boîte rouge, un média créé spécialement par les étudiants pour couvrir le mouvement. Mario, électricien de 35 ans, porte le carré rouge depuis deux semaines après avoir longuement discuté avec des étudiants : « J’ai pas d’enfant, mais je ne veux pas que les jeunes s’endettent encore plus pour pouvoir étudier ! »

Pour Claude Vaillancourt, président d’Attac Québec, cette grève « a développé une importante réflexion sur l’éducation et sur la façon de collecter et dépenser l’argent public ». Il observe la convergence des revendications étudiantes avec celles des Indignés et du mouvement altermondialiste. Parmi ces dernières, la défense du service public, la nécessité d’un impôt progressif et la protection d’une certaine vision de l’université qui ne réduit pas le savoir à une simple marchandise.


Vers un renouveau de la gauche québécoise ?

La crise étudiante est en train de devenir une crise sociale et politique qui remet profondément en cause la légitimité du gouvernement en place. Depuis plusieurs semaines, de nombreux partis (Coalition avenir Québec, Parti québécois, Québec solidaire) demandent la tenue d’élections générales prévues par le gouvernement en fin de mandat, à l’automne prochain. Difficile cependant de s’avancer sur les répercussions du mouvement étudiant dans les urnes : « De nombreux manifestants sont très critiques envers le système de représentation politique, ils peuvent être nombreux à ne pas aller voter », prévient le politologue Éric Martin.

Dans une lettre ouverte aux étudiants, Christian Nadeau, professeur de philosophie à l’université de Montréal a déclaré que « cette lutte étudiante illustrait la renaissance de la gauche au Québec ». Si les membres de l’opposition officielle (Parti québécois, centre gauche) arborent depuis le début le carré rouge, le parti a mis du temps à se positionner clairement en faveur d’un gel des frais de scolarité. « Le Parti québécois ne peut pas capitaliser sur le mouvement car il a depuis longtemps privilégié la rigueur budgétaire », explique Éric Martin. Selon lui, ce « printemps québécois » recompose dès à présent les forces politiques de gauche et peut ouvrir une brèche au sein du bipartisme. Bien plus à gauche du Parti québécois, Québec solidaire (avec seulement 3 % des voix en 2007), parti politique altermondialiste et souverainiste, est aujourd’hui un des seuls à se positionner en faveur de la gratuité scolaire revendiquée par la Classe. Habitué des manifestations, son unique député, Amir Khadir, a appelé à la désobéissance civile face à la loi 78. La Classe a, elle aussi, déclaré qu’elle ne se plierait pas à cette loi d’exception, quitte à en assumer les conséquences juridiques.

Le 22 mai, au 100e jour de grève, une marée rouge de 250 000 personnes a envahi les rues de Montréal. Parmi les étudiants, ils sont nombreux à vouloir continuer la lutte durant l’été. Les cours suspendus jusqu’à fin août pourraient bien être perturbés à l’automne, après ce printemps érable.

 

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Tag(s) : #INFOS SYNDICALES
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